Ce que l'on ne vous dit jamais sur la procrastination

Alors que les jours de pandémie se suivent et se ressemblent, et que nous perdons progressivement la notion du temps, ne pourrions-nous pas profiter d'un peu de procrastination? Le mot sonne comme une punition, une faute, rempli de jugements de paresse et de manque de productivité, d'efficacité, de suivi. Et si nous pouvions hacker la procrastination pour qu'au contraire elle nous rende service? Et si se donner la permission de remettre à plus tard était tout ce dont nous avions besoin pour augmenter notre productivité?

Je me souviens d'un jour, quand j'étais ado traînant les pieds jusqu’à la cuisine tard dans la matinée: une amie de longue date de la famille se vantait d'être debout depuis cinq heures du matin, me conseillant de ne jamais remettre à demain ce que je pouvais faire le jour même. Je n’arrivais pas à m'identifier à son style de vie, ni à ses conseils. Et pourtant, elle m’a inoculé une sacré dose de culpabilité qui ressort, comme pour beaucoup d'entre nous, chaque fois que je remets quelque chose à plus tard. L'auto-reproche s'infiltre même lorsque je m'émerveille de la façon dont certaines tâches, celles qui sont suffisamment insignifiantes et qui manquent d'urgence, disparaissent et ne reviennent jamais titiller lorsque vous les mettez de côté.

C'est un cercle vicieux. Nous sommes pris dans ce que nous devons faire. Nous sommes anxieux quand nous sommes en retard ou que nous n'avons pas répondu aux attentes de tout le monde. Et comme l'anxiété augmente, curieusement, notre esprit part en balade. La procrastination pointe son nez quand une tâche est dure ou ingrate. La prochaine distraction nous attire. Et la tâche s’ajoute à la longue liste des choses «à faire plus tard», au comportement si proche de celui des sables mouvants.

Nous le faisons tous. Autrement dit, ce n'est pas qu'une question de paresse ou de mauvaise gestion du temps.

Pourquoi les gens procrastinent-ils autant?

Mon procrastinateur intérieur est le roi de l'auto-tromperie — n'importe quoi pour ne pas voir les conséquences de ne pas faire la tâche qui se trouve devant moi. Parfois, il est autodestructeur, ivre de la peur de l'échec, me protégeant du jugement et de l'auto-condamnation. Il adore ranger le bureau et organiser des tâches (!). Et il ne se sent jamais improductive.

Certains considèrent la procrastination comme un échec de la fonction exécutive, une incapacité à planifier à l'avance et à établir des priorités. D'autres le décrivent comme un mécanisme permettant d'éviter le stress. La génétique et l'évolution sont également blâmées — car les premiers humains se sont concentrés sur la survie à court terme et sur les impulsions — tout comme le manque de maîtrise de soi, une faible confiance en soi, de l'anxiété, un manque de structure ou de motivation.

D'accord, d'accord, on comprend. Pourtant, je reste persuadée que puisque nous le faisons tous, il serait peut-être temps d'arrêter de nous juger pour tenter d'en tirer le meilleur parti.

Procrastiner volontairement?

Et si la procrastination était un signal à écouter? Et si cela ne signifiait pas que nous manquons d'estime de soi ou étions paresseux, démotivés, sans structure?

Et si mon esprit vagabond me disait juste qu'il avait besoin d'une pause?

Ou que je serais plus efficace en réalisant cette tâche en particulier à un autre moment de la journée?

Ou que j'ai besoin de découper la tâche en petits bouts pour obtenir un meilleur résultat?

Ou simplement que ce travail m'ennuie et que je dois soit le déléguer, soit le rendre plus intéressant?

Les partisans de la procrastination «productive» suggèrent que la culpabilité qui s'ensuit maintient la tâche à l'esprit ce qui stimule la créativité. Ils nous exhortent à nous éloigner de notre focalisation aveugle sur la productivité. Ils encouragent à retarder son travail, de sorte que des délais serrés motivent. Faites-vous partie de ceux qui, justement, travaille mieux « sous pression » ?

Tim Pychyl, professeur de psychologie et directeur du groupe de recherche sur la procrastination de l'Université de Carleton, affirme que la procrastination est «habituellement nocive, parfois inoffensive, mais jamais utile».

Il précise cependant que si retarder ce que vous avez à faire est un choix délibéré et que les résultats sont positifs, ce n'est pas de la procrastination, mais un «retard intentionnel».

Avec nos cerveaux câblés pour déplacer notre attention à la moindre distraction, l’acte de retarder délibérément bénéficierait d'une certaine intentionnalité et conscience.

Voici quelques questions qui peuvent aider lorsque l'envie de procrastiner surgit:

  • De quoi ai-je peur? Qu’est-ce qui m’inquiète? Est-ce vrai? Quel est le pire des cas?

  • Puis-je diviser cela en tâches plus petites à accomplir à intervalles réguliers?

  • Les conséquences sont-elles plus importantes que les récompenses de la gratification instantanée?

  • Un délai plus serré me donnera-t-il un coup de pied utile aux fesses?

  • Mon esprit créatif pourrait-il profiter du temps de «mijotage»?


Hacker la procrastination

Utilisez l'imagerie mentale. La recherche montre que l'utilisation de l'imagerie mentale en se concentrant sur un «soi futur» avec empathie réduit la procrastination. Concrètement, cela signifie que vous vous imaginez en train d'accomplir des tâches tout au long de la journée, dans le détail. À la fin de la journée, vous pouvez revoir votre journée comme un athlète examine une performance. Voyez-le dans votre esprit. Qu'est-ce qui s'est bien passé? Ou pas? Revoyez tout cela en faisant les choses comme vous auriez idéalement aimé les faire.

Changez votre état d'esprit. Plutôt que de juger votre procrastination, demandez-lui ce qu'elle essaie de vous dire. De même, plutôt que de vous concentrer sur la gestion du temps, pensez à la gestion de l'énergie, notamment en ce qui concerne votre volonté de procrastiner. Un troisième ajustement de l'état d'esprit consiste à augmenter l'importance de ce que vous faites — donnez-lui un sens lié à vos valeurs et à votre identité plutôt qu'à l’agenda de quelqu’un d’autre.

Déterminez vos heures optimales. Je suis une grande partisane de la connaissance de soi, et quand il s'agit de procrastination, c’est bien pratique. Nous avons tous des horaires et des rythmes différents et parfois nous procrastinons parce que ce n'est tout simplement pas le bon moment de la journée. Des études suggèrent que notre capacité à éviter les distractions varie avec notre rythme circadien. Et cela change tout au long de notre vie. Les recherches suggèrent que les adultes plus âgés ont tendance à atteindre des performances optimales dans les tâches de mémoire et d'inhibition cognitive le matin, tandis que les jeunes adultes ont tendance à les atteindre dans l'après-midi. L'ambition et la confiance en soi semblent également atteindre leur apogée tôt dans la journée. Cela dit, nous avons tous des rythmes différents. Le Dr Michael Breus a écrit un livre intitulé Quand, qui détaille quatre chronotypes différents et à quel moment de la journée ils accomplissent au mieux différentes tâches. C'est un guide utile pour commencer. La clé est d'être conscient·e de son propre fonctionnement, de l’accueillir et de l'utiliser à son avantage.


Rien n’est aussi fatigant que de remettre perpétuellement à plus tard une tâche inachevée.
— William James