La faiblesse des forces et la force des faiblesses

Avez-vous déjà été si sûr·e de vous, si aligné·e sur vos forces, que vous n’avez même pas remarqué que vous aviez aliéné votre équipe? Ou peut-être que vous vous êtes épuisé·e à en faire trop en vous fiant à vos points forts plutôt qu’à votre fiche de poste. C’est l’effet «Trop c’est trop», lorsque ce qui est habituellement bénéfique finit par causer du tort quand on pousse le bouchon un peu trop loin. L'équilibre pourrait-il venir d’un retour de balancier vers l'autre extrémité du spectre?

Avez-vous déjà eu le sentiment de devoir tout faire vous-même? Il ne vous vient peut-être jamais à l'esprit de demander de l'aide. Ou peut-être que vous êtes comme moi et que vous avez ce discours intérieur de «si tu veux que ça soit bien fait, fais-le toi-même».

Il m'a fallu beaucoup de conscience pour réaliser que la plupart du temps, dans ces situations, mon ego m’empêchait d’avancer, me faisant penser que j’étais indispensable. Quand je suis honnête avec moi-même, je me rends compte que je donne trop d’importance à mes atouts. Je les surjoue.

Mais bon, ne sommes-nous pas censés nous concentrer sur nos forces? N'est-ce pas là une devise éprouvée du développement personnel? Les personnes qui utilisent leurs forces ne sont-elles pas plus heureuses, moins stressées et plus confiantes?

Même si l'on trouve facilement vérité et réconfort lorsque l'on se fie à nos forces, on se rend compte qu'il est aussi facile d'en abuser. Je suis la première à le faire. L'un de mes super pouvoirs est de saisir la vue d'ensemble et de la réduire à l’étape pratique suivante. Et puis je m'impatiente en attendant que les autres raccrochent les wagons. Certains me voient comme hautaine. Voire prétentieuse. En ces termes, cela ne me semble pas être une force.

Les scientifiques appellent cela l'effet Too Much of a Good Thing (TMGT), ou «trop, c’est trop». Même les qualités positives deviennent toxiques lorsqu'elles sont surutilisées. L'attention aux détails devient du perfectionnisme, la confiance de l'arrogance, l'ambition de la cupidité.

Autre effet qui peut devenir pervers : plus on se focalise sur les forces, plus on dépense de l’énergie à juger ses faiblesses, même lorsque nous utilisons d'autres mots tels que «défis» ou «opportunités d’apprentissage». Et lorsque nous nous appuyons sur nos forces, nos faiblesses s'affaiblissent.

Qu'est-ce qu'une force?

Les forces viennent du talent naturel, des compétences, des connaissances et de l'expérience. Lorsque l’on fait confiance à ses forces, on se sent confiant·e, motivé·e. Ce sont des sources d'énergie, tout comme les intérêts.

Cela dit, des études méta-analytiques montrent qu'en ce qui concerne la performance, les retours négatifs et une baisse de l'estime de soi servent également à aider les gens à s'améliorer. Et les individus très performants se concentrent sur le développement de nouvelles forces (la transformation des faiblesses, donc) plutôt que sur l'amélioration des forces déjà acquises.

Forces et faiblesses

J'ai toujours été fascinée par les contraires, la notion que nous ne voyons la lumière que parce qu'il y a des ténèbres, ressentons le bonheur par opposition à la tristesse. Logiquement, alors, une force n'existe qu'à cause de sa faiblesse correspondante. Pourquoi, alors, ignorerions-nous tant nos limites et nos lacunes? Surtout lorsque, selon une étude publiée en 2016 dans le Personality and Social Psychology Bulletin, nous avons tendance à considérer les faiblesses comme plus facile à changer que les forces.

Que se passe-t-il si nous portons notre attention sur l'intégralité de notre personne, sur la reconnaissance à la fois des forces et des faiblesses? C'est comme dans la psychologie positive, se concentrer sur les émotions positives ne fonctionne que si on reconnait le spectre complet des sentiments, même ceux qui sont inconfortables.

Comment trouver un équilibre

Nous, êtres humains, sommes généralement de mauvais juges de nos propres capacités. Nous avons tendance à nous surestimer dans certains domaines et à nous sous-estimer dans d'autres, car les forces et les faiblesses dépendent d’une situation, de la façon dont on les met en pratique.

Pour en savoir plus sur soi-même, il est utile d'utiliser des évaluations des forces telles que celle réalisée par Gallup, Values ​​in Action (VIA) ou le test High 5. Le problème avec les auto-évaluations est notre tendance naturelle à nous taper sur l'épaule lorsque nous ne réduisons pas tous nos atouts à néant. Pour une compréhension de soi plus nuancée, mieux vaut demander aux autres leur avis.

Connaître ses forces et identifier ses faiblesses sert à développer une prise de conscience. L'astuce est cependant de trouver cet espace de choix, entre une situation et sa réaction, dans lequel on arrive à poser des questions telles que:

  • Cela sert-il la situation?

  • Est-ce trop?

Méfiez-vous: même légèrement exagérée, une force peut avoir des impacts négatifs.

Que faire des faiblesses

Et nos faiblesses? Que pouvons-nous en faire? Nous augmentons notre inconfort lorsque nous mettons en lumière nos faiblesses, forcément. Voici une astuce que j'utilise pour trouver les miennes: je fais attention à la façon dont je juge les autres. C’est une grande flèche rouge pointant vers les endroits où je me sens insuffisante.

Si l'on considère que les faiblesses sont la contrepartie naturelle des forces, il serait logique de se les approprier pleinement. Et l'optimiste inconditionnelle en moi les considère toujours comme un autre type de force. Je suis naïve et crédule, ce qui me rend aussi modeste et encline à des moments de profonde admiration. Je ne m’en plains pas.


La faiblesse de la force est de ne croire qu’à la force
— Paul Valéry